L’incontournable livre de chevet de… Stéphane Koechlin

Essayiste et romancier, Stéphane Koechlin a écrit une trentaine de livres, dont « Juré » (Flammarion) portant sur le procès d’un meurtrier de femmes, « La légende du Baron Rouge » et « Le vent pleure Marie » (tous deux chez Fayard). Son dernier livre, « Jean-Pierre Marielle: le lyrique et le baroque » a été publié en octobre 2019 aux éditions du Rocher. Il est également journaliste pour de nombreuses publications, dont Marianne et Valeurs actuelles.

Quel est votre livre de chevet par excellence ?

Salammbô de Gustave Flaubert. Je l’ai en plusieurs éditions, Garnier Flammarion, Folio, Pléiade, et même en reliure 1882. Chez un bouquiniste, je suis tombé sur une édition originale (1862). J’ai failli l’acheter mais j’étais étudiant, et le prix, 1000 francs à l’époque, m’a retenu. Je le regrette.  

A quel moment l’avez-vous lu ?

Je devais avoir quinze/seize ans. En fait, mon père qui n’était pas un grand lecteur de romans classiques aimait bien se rendre après le travail chez un bouquiniste de la rue Chaptal, à côté de son bureau, le journal Rock&Folk. Le libraire lui a sorti une superbe édition Charpentier de Salammbô datée de 1882 que j’ai conservée.  Il a trouvé l’ouvrage élégant, beau, et l’a acheté. Ce livre l’a passionné à tel point qu’il l’a conseillé à son ami Philippe Druillet qui dessinait à l’époque pour « Rock&Folk ». Druillet cherchait un nouveau sujet. Il a adoré et a décidé de l’adapter en science-fiction, ce qui n’était pas bête (peut-être que dessiner des temples et des armures ne lui disaient rien).    Mon père a fait paraître en feuilleton dans « Rock&Folk » le Salammbô de Druillet qui a été publié ensuite par Dargaud en plusieurs tomes et avec un grand succès.  Du coup, je l’ai lu à mon tour, et j’ai été contaminé. Le livre ne m’a plus quitté. Si j’ai eu beaucoup de conversations avec mon père sur la musique, le cinéma et la bande-dessinée, Salammbô a été notre seul échange (mais tellement enrichissant) autour de la littérature.

Pourquoi ce livre vous a-t-il marqué ?

J’en aime la puissance érotique et épique – typique du genre péplum que nous avons connu avec le cinéma. Salammbô n’a pourtant inspiré curieusement que trois adaptations à l’écran, dont deux versions muettes (1914 et 1925), toutes oubliées. Je n’en ai d’ailleurs vu aucune. Il aurait fallu un Cecil B. DeMille ou un William Wyler pour filmer la charge des éléphants, les batailles sanglantes, reproduire la cité mystérieuse de Tunisie. Et quelle magnifique histoire : la cité de Carthage, battue par les Romains lors de la Première guerre punique, doit s’acquitter d’un lourd tribut, et ne peut plus payer ses mercenaires qui décident d’assiéger la ville. Matho, le chef des rebelles, tombe amoureux de Salammbô, la fille du général carthaginois Hamilcar. Flaubert a puisé dans l’auteur grec Polybe. La révolte des mercenaires a vraiment eu lieu, mais ni Matho ni Salammbô n’ont existé. J’ai toujours été fasciné par l’Antiquité, sa beauté, sauvage, ses odeurs de myrrhe, ses banquets fastueux que Flaubert dans sa langue poétique et lyrique rend parfaitement. C’est un peu Duel au soleil, le fameux western flamboyant de King Vidor que j’adore aussi, où Gregory Peck et Jennifer Jones s’entretuent. J’adore les amants maudits qui se détestent, se jouent des sales tours mais se désirent passionnément.     

Quelles sensations a-t-il réveillées chez vous ?

Même si Flaubert le naturaliste se situe aux antipodes de Chateaubriand, l’auteur des Martyrs, Salammbô est un grand livre romantique.

« Le vent soulevait leurs voiles, et les minces tiges des papyrus se balançaient doucement… A travers les branches, la mer apparaissait avec une île au loin à demi perdue dans la brume. »

    Mélange d’infime délicatesse et de barbarie absolu, le roman joue sur deux tons fascinants… Comment oublier Salammbô avec « ses sandales coupées dans un plumage d’oiseau », son « vermillon sur les lèvres »…. Comment oublier cet « éléphant monstrueux » Fureur de Baal qui hurle avec une flèche dans l’œil ou le sacrifice des enfants au dieu Moloch…  Pervers, violent, dégoûtant, choquant, et beau comme du marbre antique…Ce livre vous pénètre la peau comme une flèche !   

L’avez-vous lu plusieurs fois ?

Je l’ai lu un grand nombre de fois, surtout que je lui ai consacré mon mémoire de maîtrise de lettres (Paris IV). Le thème était « la violence dans Salammbô ». J’y évoque le suicide, les effets de la faim sur les organismes (pour être proche de la réalité, Flaubert avait étudié les rapports médicaux du radeau de la Méduse), j’y étudie la phrase flaubertienne moelleuse comme ces fraîcheurs du matin sur l’Orient, et coupante comme un silex.       

A qui l’avez-vous prêté ?

Je ne prête jamais mes livres, mais en revanche, je le conseille toujours.Ce fut d’ailleurs une déception avec mes professeurs de français qui nous faisaient étudier Madame Bovary que j’adore aussi, mais je citais Salammbô, et mes enseignants haussaient les épaules : « Salammbô me tombe des mains », avouaient-ils piteusement.  C’était incompréhensible pour moi.

Quels adjectifs utiliseriez-vous pour qualifier ce livre ?

Science-fiction. Pas vraiment un adjectif. Mais Druillet avait raison. Salammbô nous vient d’une autre planète. Il relève aussi d’un genre qui n’a jamais vraiment été très populaire en France, le roman épique. Mais Salammbô a bien marché malgré la critique désagréable du grand critique de l’époque, Sainte-Beuve.  

Quelle question auriez-vous souhaité poser à son auteur ?

Difficile car dans sa Correspondance, il répond à toutes les questions que l’on se pose. C’est pourquoi Flaubert est le plus grand écrivain français de tous les temps derrière Molière.Mais il y en a une que j’aimerais lui poser malgré tout :  Quand Sainte-Beuve a attaqué Salammbô, je sais que vous lui avez répondu dans une lettre très argumentée. Mais au fond de vous, qu’avez-vous pensé ? Avez-vous été blessé ? En colère ? 

Et à son éditeur ?

A son éditeur donc Michel Levy. Comment était-ce de travailler avec Flaubert ?  Lui faisiez-vous des remarques ? Que lui apportiez-vous ? Les acceptait-il ? Dans ses lettres, Flaubert est plutôt affectueux avec cet éditeur qu’il appelle : « Mon cher Michel… » Mais bon, cela ne l’empêchait pas de dire à « son cher ami » qu’il n’avait pas l’air de bien se rendre compte des efforts et de l’argent que lui avait coûtés Salammbô en voyages, docs, etc…  « Je n’ai point la prétention de vouloir que la littérature me nourrisse, mais c’est bien le moins qu’elle ne me ruine pas. »

Sans transition, quelle est votre librairie coup de cœur ?

J’aime beaucoup la librairie Kléber à Strasbourg. Elle est immense. Une caverne d’Ali Baba. J’adore la littérature étrangère et vous avez des rayons entiers et complets dédiés aux littératures des pays étrangers (Corée du Sud, argentine, etc…)

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